Dans l’épisode précédent, nous rappelions que l’administrateur conduit sa réflexion éthique en s’interrogeant sur les valeurs qui lui paraissent non négociables, en précisant ses devoirs et en clarifiant la finalité de son mandat.
Après avoir traité du risque de conflit d’intérêts – d’ordre économique – nous examinons un autre risque – d’ordre moral – celui du conflit entre ses valeurs personnelles et celles de l’entreprise représentée par le conseil d’administration.
Formalisée ou non, avérée ou pas, chaque entreprise revendique une culture éthique dans sa manière d’agir. C’est souvent une mission initiée par la direction générale de l’entreprise, qui souhaite déterminer le contour de la culture éthique et ses différentes composantes. Pour pouvoir respecter des valeurs, encore faut-il les nommer, les formaliser et les mesurer. C’est ainsi que les entreprises peuvent se doter d’une charte éthique ou encore d’un code de déontologie.
Le Conseil d’administration doit s’assurer de l’existence et de la mise en œuvre de ces initiatives dans l’entreprise et poser des questions pertinentes pour organiser le débat au sein du Conseil et prévenir ainsi des comportements non-éthiques et les risques liés.
La vigilance éthique du Conseil peut prendre diverses formes : inscription des questions éthiques à l’agenda, prise en compte de critères éthiques dans les décisions stratégiques, voire mise en place d’un comité éthique.
Chaque administrateur porte ainsi le devoir de vigilance éthique de tous. Mais lorsque des tensions apparaissent entre les décisions prises en conseil et les valeurs personnelles de l’administrateur, apparaît un conflit éthique qui va mettre à l’épreuve son indépendance.
Et la crainte de conséquences négatives de l’expression de ses préoccupations en matière d’éthique peut affaiblir sa sensibilité éthique, qui va mettre à l’épreuve son courage.
Qu’est-ce que faire preuve d’indépendance pour un administrateur ?
C’est tout d’abord faire preuve d’indépendance d’esprit : oser penser par soi-même, dans le respect de l’opinion des autres et dans la fidélité à la sienne. Penser donc avec les autres, mais quelques fois contre eux. Il faut savoir le dire de manière claire et argumentée.
Il est critique en Conseil que des opinions diverses s’affrontent pour produire un débat riche, qui incorpore des idées qui s’opposent et qui couvre ainsi l’ensemble de la question traitée.
L’intérêt social a tout à gagner de l’indépendance de ses administrateurs et tout à perdre de leur conformisme. En situation de crise, la liberté à mettre sur la table les sujets difficiles peut faire la différence.
C’est également de ne pas dépendre des autres, d’une manière ou d’une autre : sociale, financière ou professionnelle. Comment en effet assurer une prise de position indépendante, si on craint de perdre un avantage personnel en exprimant son point de vue ?
Attention donc au risque de conflit d’intérêt (cf. notre post précédent) pour l’administrateur. Qui ne doit pas dépendre non plus de sa rémunération au titre de son mandat.
Et pour être indépendant, l’administrateur doit faire preuve de courage.
« Le courage est le juste milieu entre la peur et l’audace » nous rappelle Aristote. Et en effet, être courageux c’est à la fois surmonter sa peur : celle de prendre la parole, celle de déplaire aux autres et de se faire juger, celle de créer le trouble et la confusion dans le débat en cours.
Mais c’est également faire preuve d’audace que d’oser aller à l’encontre de l’opinion dominante ou encore dire tout haut ce que d’autres pensent tout bas.
Il revient à l’administrateur de tenir ce juste milieu qu’est le courage, qui constitue la marque de son indépendance. Comment devenir courageux alors ? Comme toute vertu, en le pratiquant répondrait Aristote : on n’apprend pas à devenir vertueux, mais on s’exerce à l’être lorsque les circonstances nous le proposent.
Rappelons-nous que l’éthique apparaît toujours dans les situations difficiles : aucun guide d’application ne peut ainsi remplacer la conduite réfléchie d’un administrateur, qui souhaite demeurer fidèle à ses valeurs.
Quelle éthique de l’administrateur ? Épisode 2 : Indépendance et courage
